Lorsqu’on parle de cancer, on pointe toujours du doigt les mutations génétiques.
Pour la spécialiste américaine Mina Bissell, c’est un tort puisqu’elle a
expliqué lors d’une conférence scientifique que le microenvironnement
dans lequel évoluent les cellules joue un rôle plus fondamental encore.
Un avis tranché qui convient à certains spécialistes joints par
Futura-Sciences, comme François Fuks, ou qui en laisse d'autres plus
dubitatifs, comme Charles Theillet ou l'Inca.
- À lire, notre dossier sur les mécanismes du cancer
Elle n’est pas passée inaperçue. Chercheuse à l’University of California de Berkeley, Mina Bissell a attiré l’attention sur ses propos lors de la conférence TEDGlobal 2012, qui se tenait à Édimbourg (Écosse) du 25 au 29 juin, en remettant en cause la vision des spécialistes sur le cancer.
Qu’est-ce qui favorise le développement des tumeurs
? Cela fait plus de trois décennies qu’elle creuse ce sujet et son
point de vue tranche avec ce qui est communément admis. Si elle
n’occulte pas le rôle fondamental des mutations intervenant sur certains
gènes particuliers (activant les oncogènes et inhibant l’activité des gènes suppresseurs de tumeurs), elle met au cœur du cancer le microenvironnement dans lequel baignent les cellules. Selon ce que rapporte Le Monde, elle soutient qu’il « domine le gène cancérigène lui-même ».
De son point de vue, si les seules modifications de notre patrimoine génétique suffisaient à l’émergence de la maladie, « nous serions tous de gros amas cancéreux ». Intéressant. Cela le devient d’autant plus lorsqu’elle explique les expériences qui l’ont poussée à de telles conclusions.
Le microenvironnement prend le dessus sur les mutations ?
Le cancer n’étant pas le propre de l’Homme, elle a d'abord travaillé sur une tumeur
du poulet, qui a la particularité de se développer à partir d’une seule
et unique mutation sur un oncogène. Lorsqu’elle est introduite dans les
cellules d’un oiseau en bonne santé, celui-ci développe le cancer. Mais
si la même manipulation est réalisée chez l’embryon, la maladie ne se déclare pas. Un premier élément qui montre bien que la mutation en elle-même ne dirige pas tout.
Il
y a les mutations dans les cellules tumorales, mais aussi tout ce qu'on
trouve autour. Le microenvironnement est un terme large qui regroupe
plusieurs aspects, comme les paramètres immunologiques ou angiogéniques.
© Annie Cavanagh, Wellcome Images, Flickr, cc by nc nd 2.0
Ses travaux ne s’arrêtent pas là. Dans une deuxième
expérimentation, menée sur des cellules sécrétrices de lait prélevées
dans le sein d’une femme, elle démontre une fois encore l’importance du
microenvironnement. Mises seules en culture, ces cellules ont commencé à
dégénérer en trois jours et à perdre leur fonction. En ajoutant les
tissus dont on considère qu’ils n’ont qu’un rôle de soutien, elles
retrouvaient leur forme classique et surtout leur capacité à produire du
lait. Un changement dans le voisinage les a maintenues en vie.
Dans la troisième partie de son exposé, elle
explique son ultime expérience. Considérer que le microenvironnement est
plus fondamental que les mutations dans le développement des cancers
revient à penser qu’améliorer les conditions de vie des cellules suffit
à traiter la maladie. Une hypothèse testée… et validée ! En contrôlant
le milieu de vie de cellules tumorales, elles sont redevenues saines.
Ces cellules, une fois injectées dans une souris, n’engendraient pas de
cancer, comme c’est normalement le cas lorsqu’elles ne sont pas
traitées.
Une vision du cancer qui divise
Dans la salle, la conférence n’a pas été reçue avec
beaucoup de chaleur, divisant quelque peu la communauté scientifique.
François Fuks, chercheur à l’Université libre de Bruxelles
et absent lors de ce congrès, a brièvement expliqué par e-mail à
Futura-Sciences que de son côté il accueillait la nouvelle avec intérêt.
« Je suis enthousiaste par rapport aux propos de Mina Bissel ; il
semble en effet que le microenvironnement de la tumeur soit un élément
encore peu apprécié et qui mérite une attention toute particulière dans
les années à venir. »
D’autres spécialistes sont en revanche un peu plus
partagés. Charles Theillet, de l’institut de Recherche en cancérologie
de Montpellier (IRCM), « trouve son idée intéressante. Le rôle de l'environnement tumoral
est important et plusieurs travaux récents le montrent. De là à lui
donner un rôle prépondérant, dominant celui de mutations cancérigènes,
voire réparateur, j'aimerais y croire. J'aimerais, mais cela n'arrive
pas à me convaincre ». Il nous explique dans son e-mail qu'il s'agit-là d'« une façon un peu provocante de lancer une théorie, qui est dans l'air du temps
», défendant le geste de la scientifique américaine en expliquant
qu’aux États-Unis les temps sont durs, qu'il faut se faire remarquer
pour toucher des fonds du National Institute of Health (NIH), et donc pour survivre en tant que chercheur.
Lors de chaque division cellulaire, l'intégralité des 3,2 milliards de paires de base composant l'ADN
sont répliquées. Il arrive qu'il y ait des erreurs, que l'on appelle
des mutations. Elles se produisent aussi du fait de certains polluants génotoxiques. Il n'existe aucun cancer sans mutation. © Zephyris, Wikipédia, cc by sa 3.0
Une interdépendance et non une opposition
L’Institut national du cancer (Inca) fait part à Futura-Sciences de son analyse. « Considérer
l’importance du microenvironnement est tout à fait juste, mais cela n’a
rien de nouveau. C’est un domaine de recherche sur lequel travaillent
de nombreuses équipes. L’importance du microenvironnement tumoral n’est
en rien contradictoire avec le fait qu’il se passe également quelque
chose à l’intérieur de la cellule » précise cette même source.
Les cancers dépendent des mutations de gènes à l’origine de deux types de protéines : les oncogènes sont surexprimés et les gènes suppresseurs de tumeur s’éteignent. En conséquence, « la
cellule se transforme, elle commence à émettre des signaux qui
parviennent aux cellules alentours, celles constituant son
microenvironnement. En réponse à ces signaux, ces cellules impactent en
retour sur la cellule tumorale. Il y a donc une interdépendance et non une opposition entre mutations et microenvironnement. »
L’Inca ajoute que « les cancers sont des maladies multifactorielles ». Effectivement, la biologie cellulaire est très complexe : il s’agit de jeux d’équilibres, de rétrocontrôles, d’inhibitions, de transformations, etc. Chaque cas de cancer
est particulier et fait intervenir différents acteurs qui ne sont pas
impliqués dans toutes les formes. Est-il alors possible de généraliser
l’impact prépondérant du microenvironnement à toutes les situations
tumorales ?
Cette pathologie, l’une des principales causes de mortalité
à travers le monde, préserve toujours quelques-uns de ses secrets et
pousse la communauté scientifique au débat. Un jour prochain,
souhaitons-le, l’unanimité y règnera pour définir le meilleur moyen de
l’exterminer.
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